vendredi 10 juin 2016

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La dermatologie à l’époque de l’Allemagne Nazie : Bourreaux et victimes

Il est d’usage en médecine d’utiliser le nom d’un découvreur pour baptiser sa découverte. Une revue des noms utilisés en dermatologie pour désigner certaines pathologies peut permettre de mieux connaitre les travaux et l’éthique du “découvreur”. L’objectif de cet article a été de de retrouver quelques noms éponymes utilisés en dermatologie pour des découvertes datant de la période de la seconde guerre mondiale, pour certains par des médecins qui participèrent activement au régime nazi allemand, où même qui jouèrent un rôle actif dans les atrocités commises par ce régime et pour d’autres qui furent impitoyablement pourchassés par ce régime et terminèrent leur existence dans des camps de concentration.

Dans le prolongement des théories animales de Darwin, le début du XXe siècle connut l’intégration des théories eugénistes, prônant la sélection des individus afin d’améliorer le capital génétique de la race blanche. A cette époque, les eugénistes occupent des position importantes et proclament l’impérieuse nécessité du maintient de la pureté de la race à travers la stérilisation des individus “anomaux”. Ce mouvement eugéniste avait une influence s’étendant à toute l’Europe et à l’Amérique du nord. Ces théories furent à l’origine des premières exactions du régime nazi. Si les personnes dont les noms éponymes cités ensuite par l’article ne participèrent pas tous directement à ces actes, c’est cependant bien cette théorisation qui servit de justification aux pires actes anti-humains de cette période.

Eugène Charles Apert et le syndrome d’Apert/Crouzon: Apert était un médecin français de la fin du XIXe siècle. Il dédit sa vie à l’étude des maladies génétiques et fut un des co-fondateurs de la société Française d’Eugénisme. Il décrivit en 1906 le syndrome qui porte son nom : il se caractérise par une fusion prématurée des sutures des os du crâne déformant le crâne qui prend une forme de tour,  par une fusion des doigts des mains et des pieds, un retard mental important et des troubles du langage.

Madge Thurlow Macklin et le syndrome de Curth-Macklin : Madge Macklin (1893-19§2) était une généticienne américaine, elle aussi favorable à l’eugénisme et qui fonda d’ailleurs la société d’eugénisme au Canada. La plupart de ses travaux et publications avaient trait à l’eugénisme.Une de ses proposition était que les médecin puissent décider si les un couple était autorisé à se reproduire, une notion qui faisait partie de l’idéologie nazi des premières années au cours de la montée du nazisme en Allemagne. Le syndrome qu’elle décrivit était une anomalie présente à la naissance et caractérisée par des lésions kératiques de la plante des pieds et des mains associées à une ichtyose. Il s’agit d’une pathologie autosomale dominante.

Hans Eppinger et l’angiome stellaire : Hans Eppinger est un autrichien, fils de médecin.  Après avoir  enseigné dans diverses universités allemandes, Eppinger revient en Autriche et devient un des médecins les plus importants du régime nazi. Il prend la décision de débuter des expérimentation humaines sur des prisonniers russes et roumains. Au cours d’experimentations menées à Dachau, il teste sur des prisonniers roumains l’effet de ne boire que de l’eau salée. L’expérimentation était menée jusqu’à la mort des sujets. Après la guerre, on retrouve Eppinger travaillant pour le commandement soviétique. Appelé à témoigner au procès des médecins de Nuremberg (photo), il se suicide au poisson. Un prestigieux prix de médecine d’Allemagne de l’Est portait son nom jusqu’en 1970, date à laquelle son implications dans les expérimentation humaines en camp de concentration sont revenues sur le devant de la scène : son nom a été efface, le prix continue d’être remis.

Murad Jussuf Ibrahim et la candidose cutanée congénitale : Ibrahim (1877-1953) est d’origine Egyptienne, mais suivi des cours à Berlin et y resta. La plupart de seon travail portait sur des pathologies gastro-intestinales et les troubles nerveux chez les nouveaux nés. Il s’impliqua dans le programme d’eugénisme nazi dès son commencement, un programme dont le but était ‘élimination physique des enfants anormaux et des patients maladies considérés comme improductifs pour la société. Ces enfants et ces adultes étaient assassinés par une injection intracardiaque de phénol ou des doses massives de barbituriques.
Il décrivit la candidose cutanée congénitale, une mycose qui survient dans les six premiers jours de vie et se déclare par une éruption cutanée causée par des Candidas lié à une contamination amniotique par voie ascendante consécutive à une candidose vaginale asymptomatique survenue au cours de la grossesse. Le risque d’infection systémique, voire de décès, est important chez les prématurés et même chez le nouveau-né à terme.

Hans Conrad Julius Reiter et le syndrome de Reiter : Le syndrome de Reiter est fréquent en dermatologie : il associe une uréthrite non gonnococique, une conjonctivite et une arthrite (syndrome oculo-uréthro-synovial). Reiter est né en Allemagne en 1881 et à complété ses études en aAlemagne par des séjours d’études à l’institut Pasteur de Paris, ou l’hôpital Sainte Marie de Londres. Il adhère au parti nazi en 1922. Il écrit plusieurs ouvrages sur l’hygiène raciale. Membre de la SS, il autorise les expérimentation humaines au sein de plusieurs camps de concentration. L’expérimentation la mieux connue est celle d’un vaccin contre la typhoïde menée à Buchenwald. Des prisonniers étaient volontairement infectés par la typhoïde, la moitié recevait un vaccin expérimentale et l’autre rien du tout. Des centaines d’hommes sont morts au cours de ces expérimentations inutiles. Arrêté par les soviétiques, il est jugé à Nuremberg, condamné et enfermé.Il ressort rapidement de prison, et reprend son métier de médecin. Il recevra de nombreuses distinctions internationales, participera à de nombreuses conférences en tant qu’orateur et mourra tranquillement chez lui en Allemagne en 1969 à l’âge de 89 ans. Le syndrome de Reiter a été débaptisée en raison de son activité nazie mais  cela fut fait après sa mort.

Friedrich Wegener et la granulomatose de Wegener : Friedrich Wegener reste un homme controversé car malgré des implications réelles avec le régime nazi, les preuves de son rôle dans des recherches non éthiques n’ont jamais pu être produites. Wegener rejoint les SA en 1932 et le parti nazi en 1933. Au début de la guerre, il est nommé à l’institut d’anatomopathologie de la ville Polonaise de Lotz où des centaines d’autopsies étaient pratiquées chaque année. Lodz est situé à 150 kilomètres de Varsovie et de son ghetto juif. Il quitta Lodz en 1944, atteint de diphtérie. Il fut ensuite chirurgien au sein d’unités combattantes puis fût fait prisonnier par les américains. Il mena ensuite une carrière universitaire en Allemagne jusqu’en 1964 à l’université de Lubeck. Il reçut plusieurs récompenses universitaires. Son nom est resté attaché à la description d’une granulomatose, encore appelée maladie de Wegener, une maladie auto-immune qu’il décrivit en 1939 : Il s’agit d’une vascularite systémique caractérisée par un aspect de granulome et localisée principalement au niveau de la sphère ORL, des poumons, des reins ou de la peau.

Abraham Buschke et le condylome géant acuminé: Abraham Buschke (1868-1943) était à la tête du département de dermatologie de l’hôpital Rudolf Virchow, que les lois juives l’obligèrent à quitter en 1933. Il fut ensuite déporté au camp de Theresienstadt ou il mourrut en 1943. Il décrivit une maladie rare, le scléroedème de Buschke, souvent évoqué comme diagnostic différentiel de la sclérodermie et qui correspond à une modification de la peau par une induration souvent associée avec du diabète. Cette affection est prédominante chez la femme. Elle débute le plus souvent niveau du visage, de la tête et s’étend vers les autres le partie du corps.
Avec un autre médecin, Loewenstein, il décrivit également le condylome acuminé géant, encore dénommé tumeur de Buschke : il s’agit d’une tumeur non cancéreuse à type de formation charnue, en masse molle parfois étendues et récidivantes. C’est une maladie sexuellement transmissible liée à un virus, à développement génital, anal ou scrotral.

Ludwig Pick et les lésions mélanocytaires : Ludwig Pick (1868-1944) était un universitaire allemand. Il prit la tête du département d’anatomopathologie de l’hôpital Friedrichschain à Berlin. Il fut arête et enfermé au camp de concentration de Theresienstadt ou il mourra en 1944. Son nom est principalement resté attaché à ses description des lésions pigmentées de la peau.

Lucja Frey-Gottesman et le syndrome de Frey : Lucja Frey-Gottesman (1889-1942) était une neurologiste Polonaise née en Ukraine. Elle devint médecin à Varsovie, où elle fut arrêtée en tant que juive à l’arrivée des allemands et enfermée dans le ghetto de Lwow, où elle poursuivit son activité médicale. En 1942, les allemands décidèrent d’éradiquer le ghetto. Ils assassinèrent l’ensemble des médecins et des patients et en 12 jours les 50 000 habitants restant du guetto furent déportés.
Le syndrome de Frey se caractérise par des épisodes répétés de rougeurs et de sudations au niveau de la peau innervée par le nerf auriculo-temporal, à proximité de la glande parotide. Ce phénomène est provoqué par l’alimentation et s’associe à une forte salivation.

Karl Hexheimer et la syphilis : Karl Hexheimer (1860-1942) est un juif allemand à la tête du service de dermatologie d’une clinique de Francfort. En 1933, il refuse de fuir le pays. IL est arête en 1941 et envoyé à l’âge de 81 ans au camp de concentration de Theresienstadt où il mourra 4 mois plus tard de faim et de dysenterie. Il est ç l’origine de la description de la réaction de Jarisch-Herxheimer, une réaction inflammatoire apparaissant lors du traitement de la syphilis par la pénicilline, expliquée par une destruction rapide  de tréponème pale à l’origine de la maladie. Les symptômes cutanés de la syphilis apparaissent alors exacerbés.

Arthur Simons et la lipodystrophie : Arthur Simons (1879-1942) est également un médecin juif allemand qui dut abandonner son poste en 1933. Il est déporté en 1942 au camp de Vaivara en Estonie, o mil décéda dans l’année. Il décrivit la lipodystrophie progressive ou syndrome de Barraquer-Simons, une pathologie entrainant une perte asymétrique du tissu graisseux de la tête et de la partie supérieure du corps et son accumulation dans le bas du corps.

Moriz Oppenheim et la nécrobiose lipoidique :  Moriz Oppenheim (1876-1949) était un dermatologue juif autrichien, à la tête du département de dermatologie de l’hôpital Wilhelminenspital de Vienne. Il fuit l’Autriche avant la guerre et émigra aux Etats-Unis où il mourrut en 1949. Il décrivit la nécrose nécrobiose lipoidique ou maladie oppenheim-urbach caractérisée par une nécrose cutanée de la peau chez des patients diabétiques, ou souffrant d’une arthrite rhumatoïde, comme la sarcoïdose. Si en 1938, 68% des dermatologistes de Vienne sont juifs, en 1940 seulement 48 de ces 160 médecins sont encore sur les registres médicaux.

Leo Ritter von Zumbusch et le psoriasis pustuleux généralisé : Léo Ritter von Zumbusch (1874-1940) étudie la médecine à Vienne et devient dermatologue en 1906. Il est directeur de l’hôpital Rudolf-Spital de Vienne dès 1909. En 1913, il part à Munich où il prend la tête du département de dermatologie de l’hôpital universitaire en 1915. Les Nazis le forcent à démissionner en 1935. Il décrivit le psoriasis de Von Zumbusch, une forme rare caractérisé par un aspect pustuleux généralisé pouvant couvrir l’ensemble du corps.

Après cette revue non exhaustive, les auteurs posent une question à laquelle aucune autorité médicale n’a encore répondu précisément : doit-on continuer à honorer des individus indignes en perpétuant leurs noms désignant des maladies éponymes ou ces noms doivent-ils être modifies. Et cette question est loin de ne toucher que la dermatologie.

Source

Dermatology in nazi Germany
Cuerda E, González-López E, López-Estebaranz JL
Actas Dermosifiliogr. 2011 Jul-Aug;102(6):423-8. Epub 2011 Feb 20.

A lire également : Procès des médecins nazis à Nuremberg


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