En ORL, les antibiotiques étaient trop souvent utilisés en particulier au cours d’angines virales. En plus, il était nécessaire de faire des économies, alors la sécurité sociale n’a pas hésité. A une campagne d’information choc dont tout le monde a retenu le slogan, « les antibiotiques, c’est pas automatique » lancée en 2001, fut ajoutée une chasse aux prescripteurs, où certains récalcitrants furent convoqués devant un « tribunal d’exception » pour leur redire combien il était mal de prescrire des antibiotiques. Pour soutenir cette non prescription, des tests de diagnostic rapide (TDR) sensés détecter une angine bactérienne envahirent les cabinets : les médecins peuvent même directement les commander sur internet. Ils sont également depuis peu accessibles directement aux patients dans toutes les bonnes pharmacies (arrêté du 11 juin 2013).
Pour mieux vendre encore les tests de diagnostic rapide, l’assurance maladie édite une plaquette à destination des médecins : cette plaquette explique comment l’utiliser au mieux : si le test est positif, il s’agit d’une angine à streptocoque A, la seule bactérie détectée par le test, il faut alors prescrire un antibiotique. En revanche, si le test est négatif, il ne s’agit pas d’une angine à streptocoque A, donc “Pas d’antibiothérapie”, est-il écrit sur la plaquette (cf. illustration ci-dessous).
Sur le site internet de l’assurance maladie où est dénoncé l’utilisation à tort des antibiotiques, il est encore précisé que les antibiotiques ne sont efficaces que “sur les angines bactériennes avec TDR positif : ”Les antibiotiques ne peuvent rien contre les maladies d’origine virale telles que la rhino-pharyngite, la grippe, la bronchite aiguë, ou la plupart des angines. Ils sont efficaces uniquement contre les maladies d’origine bactérienne (ex: cystite, pneumonie, angine bactérienne avec TDR positif…)“. (vous retrouverez cette propagande sur la video du site Doctissimo ci-dessous)
C’est tellement simple qu’on se demande vraiment si un médecin est véritablement indispensable? C’est probablement ce à quoi a penser le Ministère de la Santé en autorisant la mise à disposition de ces tests de diagnostic rapide en pharmacie.
Seulement, et contrairement à ce que pense l’Assurance Maladie, on ne soigne pas un déficit comme l’on soigne une population et le dogme de l’anti-antibiothérapie a évidemment son revers. On se félicite de la baisse de prescriptions des antibiotiques, une baisse de 26,5% qui génèrerait quelques millions d’euros d’économie, en omettant de trop regarder le nombre croissant de surinfections, d’hospitalisations pour abcès, cellulite ou phlegmon, voire de décès que l’absence d’antibiothérapie a pu causer.
En effet, lorsque vous traitez une infection bactérienne ORL par un antipyrétique seul, ou même un anti-inflammatoire, les conséquences peuvent être graves. C’est le cri d’alerte qu’ont poussé les ORL, lors du 120 ème Congres de la SFORL qui se tenait à Paris du 12 au 14 octobre 2013.
Le président du Collège français d’ORL, le Pr Emile Reyt (CHU de Grenoble) expliquait au cours d’une conférence de presse la problématique à laquelle font face les ORL : “Nous lançons une alerte au nom du Conseil National des ORL devant l’augmentation inquiétante du nombre d’abcès pharyngés, complications des angines”, des complications capables d’engager le pronostic vital des patients.
Il est donc impératif que les pratiques actuelles évoluent car les analyses des dossiers des patients qui souffrent de complications graves d’angines mettent en évidence que ces complications sont causées par une mauvaise prise en charge, la prise en charge recommandée actuellement. En absence de prescription d’antibiotique, les ORL constatent en revanche une augmentation des prescriptions d’anti-inflammatoires (AINS) suivie de la constitution de phlegmons amygdaliens, voire de cellulites cervicales ou médiatisnales qui peuvent être fatales. Mourir pour une angine?
La mise à disposition des tests de diagnostic rapide en pharmacie, une suite financièrement logique de la campagne « les antibiotiques c’est pas automatique”, inquiète donc fortement les ORL : Si le nombre de prescriptions d’antibiotiques a effectivement chuté de plus de 25%, le nombre de patients souffrant d’un abcès péri-amygdaliens a en parallèle explosés de +51%, expliquait le Pr Reyt. Ainsi, une étude menée dans 13 centres d’ORL chez 412 patients souffrant d’un abcès péri-amygdalien montrait que 39% n’avaient reçu aucun antibiotique, et que 65% avaient reçu un anti-inflammatoire (AINS ou corticoïde) [étude citée au cours de la conférence de presse]. La prise en charge actuellement recommandée est donc fortement faillible, une inadaptation que les ORL souhaitent revoir.
Le problème vient bien sûr du côté faussement rassurant du test de diagnostic rapide réalisé dans les cabinets, et de la simplification de lecture qu’en impose l’assurance maladie : en effet, ce test ne décèle que les infections à streptocoques A. Si un patient souffre d’une angine bactérienne liée à un autre germe, il sera faussement rassuré par son médecin lui indiquant que l’angine est probablement virale et repartira sans traitement. Il risque alors de subir une complication de cette angine non traitée, des complications bien plus rares avant que la sécurité sociale ne lance son slogan.
C’est pour cela que les ORL s’opposent à la mise à disposition en pharmacie de ces tests de diagnostic rapide qui ignorent par exemple les infections à germes anaérobies. Un patient pourrait, encore une fois, être faussement rassuré par son pharmacien et ne même pas aller consulter : la mise en vente de ce test ne respecte donc pas, pour le Pr Reyt, ”les objectifs de qualité et de sécurité des soins que nous nous devons d’apporter aux patients ».
La mise en vente de ce test peut donc représenter un danger pour la santé. Ce n’est cependant pas l’avis du Directeur Général de la Santé Publique ni du ministère de la santé qui n’ont pour l’instant pas donné suite à l’inquiétude des ORL. Les phlegmons, médiastinites et autres complications d’angines bactériennes mal traitées vont donc pourvoir continuer à flamber au pays de la “meilleure médecine du Monde”.
Toute douleur pharyngée nécessite une consultation médicale et le test d’angine bactérienne par bandelette n’exclue pas une angine bactérienne. La vigilance et le suivi des patients s’imposent donc.
Pour rappel, la campagne de l’assurance maladie “Les antibiotiques, c’est pas automatique” a couté 500 millions d’euros.
Source
Conférence de presse organisée dans le cadre du congrès annuel de la Société française d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou (Paris 12-14 octobre 2013)
Professeur Émile Reyt (CHU de Grenoble) président du Collège français d’ORL et de chirurgie cervico-faciale
Le CNP-ORL réagit contre la pratique des TDR par les Pharmaciens d’officine
Pr Emile Reyt Président du Collège Français d’ORL et CCF, Dr Jean Michel Klein Président du SNORL, Pr Frédéric Chabolle Secrétaire Général de la SFORL
Paris, le 3 août 2013
- Lettre à Monsieur le Directeur Général de la Santé (PDF – 125.7 ko) -Télécharger
- Lettre à Madame La Ministre de la Santé (PDF – 125.7 ko) - Télécharger
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En tant que biologiste , je considère que ce slogan erroné et raccourci fera plus de dégâts dans un proche avenir :depuis près de 20 ans c’est le ciblage de l’antibiotique et sa mise en œuvre optimisée que l’on a abandonnés ; avant on testait chaque antibiotique avant sa sortie par le fabriquant dans les laboratoires d’analyses médicales privés indépendants des producteurs ,sous forme de disques imprégnés in vitro, puis on faisait des prélèvements ( ORL ) et analyses ciblées de l’antibiotique de choix le plus près possible de la déclaration de l’infection( le tout en 48 h )..aujourd’hui on attend des jours entiers que les germes se développent à une vitesse exponentielle telle que l’antibiotique simple qui aurait pu suffire se retrouve devant un état réfractaire.. ; pire on déclenche souvent avec ce retard préjudiciable une antibiothérapie multiple (comme pour rattraper le temps perdu ) qui est souvent antagoniste ..
Et surtout on passe sous silence l’invasion massive des antibiotiques chez les animaux d’élevage , dont on est imprégné depuis que l’alimentation industrialisée a connu son expansion..à quand la viande “Bio “?