vendredi 2 septembre 2016

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La prise de cours sur ordinateur serait néfaste aux performances des étudiants? Pas si sûr…

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L’ordinateur contre le papier : la presse s’est largement faite l’écho d’un travail scientifique montrant combien prendre ses cours avec un papier et un crayon offrait aux étudiants des performances supérieures à ceux les prenant sur un ordinateur. Les résultats de ces travaux sont par exemple repris dans le journal Le Monde : « Avec un ordinateur les étudiants retranscrivent plus mais ils le font mot à mot «sans discernement et de manière stupide (mindless)» (…) le fait d’avoir emmagasiné davantage d’informations grâce à l’ordinateur ne donne aucun avantage sur à long terme, même au bout d’une semaine (sic) ». Un avis aussi tranché et dithyrambique méritait de retourner à la source, afin de vérifier si ces 3 études témoignent réellement de la nécessité d’abandonner l’ordinateur pour revenir au papier et à la pointe carbone…

A l’opposé des élèves, explique l’article publié dans la revue Psychological Science, les enseignants estiment que l’usage des ordinateurs pour la prise de notes en cours réduit les capacités d’apprentissage et est source de distraction. L’existence d’une connexion internet active réduirait encore les performances de manière compréhensible puisque le cerveau humain gère mal les multitâches. Même si ces distractions sont contrôlées (accès uniquement à un traitement de texte), l’usage de l’ordinateur pourrait affecter les performances des élèves en altérant la qualité de prise de notes et la manière dont ces notes sont prises. Deux hypothèses sont ici faites : la première est que l’activité cérébrale permettant la prise de notes, l’encodage, améliore l’apprentissage et la mémorisation. La seconde hypothèse est que la prise de note à la main facilite la révision des notes.

Pour évaluer ces différentes hypothèses Pam Mueller a recruté, pour une première étude, 67 étudiants de Princeton University et a sélectionner 5 talk-shows parmi les fameux TED talks (https://www.ted.com/talks), tous d’une durée de 15 minutes, évoquant des sujets intéressants et sortant du domaine commun.

Les participants voyaient 2 talk-shows à la suite et prenaient des notes selon leur habitudes, soit par ordinateur, soit avec un carnet et un crayon. Ils étaient ensuite conduit au laboratoire, où ils suivaient des activités distrayantes pendant 30 minutes avant de répondre à un questionnaire sur le contenu des talk-shows avec des question nécessitant des réponses factuelles, par exemple, «Approximativement à quelle date situez vous l’existence de la civilisation de l’Indus?» dont les réponses étaient évidemment dans les talk-shows, puis des questions nécessitant une approche conceptuelle, comme par exemple, «Comment le Japon et la Suède diffèrent dans leur approche de l’égalité ».

Les notes prises à la main contenaient significativement moins de mots que celles prises par ordinateur. Ces dernières étaient également plus précises contenant 14,6% de mots prononcés par les acteurs des talk-shows contre 8,8% pour les notes prises à la main.

Les résultats montrent que les performances aux questions factuelles sont comparables pour les deux groupes mais que les performances aux questions conceptuelles sont significativement moins bonnes pour les utilisateurs d’ordinateurs.

Les conclusions des auteurs à cette première étude sont sans appel : «Cette étude apporte les preuves expérimentales initiales que les ordinateurs peuvent altérer les performances académiques (…) Les utilisateurs d’ordinateurs prennent plus de notes et avec une meilleure correspondance au verbatim. Et bien que prendre plus de notes, et donc bénéficier de plus d’information, apparait bénéfique, la transcription « bête » paraît obérer les bénéfices d’un contenu plus important, au moins lorsqu’il n’y a pas de possibilité de relecture».

Un scientifique peut toujours conclure ce qu’il veut de ses expériences mais ses conclusions peuvent aussi être discutées. On pourrait opposer plusieurs remarques à cette conclusion brutale apportée après le suivi de seulement 67 étudiants ayant pris des notes sur deux talk-shows de 15 minutes :

Le modèle expérimental proposé est loin d’un suivi régulier de cours et de prises de notes des jours durant par deux groupes importants d’étudiants comparables dont la méthode de prise de notes serait au final évaluée par des résultats académiques réels,

Une lacune de l’étude est bien sur l’absence de groupe contrôle : Il aurait effectivement été intéressant de voir si un groupe d’étudiants attentifs et ne prenant aucune note pouvait ou non avoir de meilleurs résultats que ceux prenant des notes sur papier ou ordinateur. Car la réponse à l’étude aurait été non seulement de condamner l’ordinateur mais aussi la prise de note, pointant du doigt la prise de note comme une attitude altérant les performances…un résultat que tout le monde aurait évidemment rejeté,

– Autre point à discuter est évidemment la condamnation de l’ordinateur car ce n’est pas lui qui est mis en cause mais le fait de taper sur un clavier ; car une prise de note par écriture cursive tactile pourrait, si l’hypothèse de l’encodage cérébral des informations reçues est exacte, apporter une même qualité de mémorisation que l’écriture sur papier? Où est-ce le stylo l’élément important?

–  Nous ne savons pas si les différences retrouvées entre ces deux groupes d’étudiants n’existaient pas avant l’étude. En effet, les deux petits groupes n’ont pas été appariés, ni comparés en aucun manière avant l’expérience. Le groupe étant petit (67 personnes), il est tout à fait possible qu’il existe des biais de sélection. Il aurait été possible de vérifier les résultats en inversant le type de prise de note par exemple pour tenter de renforcer l’étude.

Enfin, l’expérimentation étant sans enjeux, on ne sait pas à quel point les étudiants étaient réellement motivés pour répondre précisément ; ils touchaient certes 10 dollars de dédommagement mais est-ce suffisant à motiver 67 étudiants américains ?

Une hypothèse alors formulée par les auteurs est que la moindre performance chez les utilisateurs d’ordinateur est liée à une tentative de reproduction trop exacte du verbatim des talk-shows. Une deuxième étude est donc mise en place en demandant à un premier groupe d’étudiants utilisant l’ordinateur d’éviter de reproduire le verbatim autant que faire ce peut mais d’utiliser leurs propres mots pour leurs notes. Rien de spécifique n’a été indiqué aux étudiants d’un second groupe pouvant prendre des notes sur papier ou sur ordinateur. Cette fois le document présenté était un texte défilant sur un écran.

Concernant les questions conceptuelles, les résultats montrent des performances meilleures chez les étudiants ayant pris des notes à la main en comparaison à ceux ayant pris des notes par ordinateur et à qui aucune instruction n’avait été donnée, mais la différence n’est pas statistiquement significative. Les performances de ceux ayant utilisé l’ordinateur avec des instructions particulières n’avaient non plus aucune différence significative avec aucun des deux groupes précédents.

Les performances aux questions factuelles étaient identiques dans les 3 groupes. A noter que le groupe ayant reçu des instructions de ne pas copier le verbatim n’a absolument pas suivi les instructions. Les meilleures performances étaient retrouvées chez les étudiants prenant le plus de notes mais avec le moins de reproduction du verbatim, un résultat déjà retrouvé dans la première étude. Cette seconde étude utilisant 2 fois plus d’étudiants (151 participants) ne retrouve donc finalement aucune différence statistiquement significative entre les deux méthodes de prise de note.

Les auteurs vont donc mener une troisième étude afin de tester si le fait de prendre plus de notes sur un ordinateur pouvait améliorer la performance si un temps de relecture des notes était laissé aux étudiants utilisant ce moyen de transcription. Cette fois 118 étudiants participèrent mais 8 furent éliminés par les auteurs car ils n’avaient pas pris de notes ou parce qu’ils étaient incapables de répondre aux questions posées : cette pure élimination de 8% des participants est très critiquable. Les auteurs n’indiquent pas à quel groupe ils appartenaient. Trente étudiants avaient également oublié de revenir à la session de contrôle une semaine plus tard.

Cette troisième et dernière étude consistait en quatre textes de 7 minutes passant sur un téléprompteur et lus par un étudiant jouant le rôle de professeur. Une moitié d’étudiant avait un ordinateur, les autres un stylo et un papier. Ils ont ensuite été revus une semaine plus tard pour une série de questions factuelles et conceptuelles. Il était donné à une partie de chaque groupe la possibilité de relire ses notes 10 minutes avant le questionnaire.

Les performances des étudiants prenant des notes à la main et n’ayant pas eu la possibilité de réviser leurs notes (en tout cas au laboratoire) sont statistiquement équivalentes à celles des étudiants ayant utilisé un ordinateur qu’ils aient ou non eu du temps pour réviser leurs notes (la note des utilisateurs d’ordinateur atteint 20,6 contre 19,4 pour ceux ayant pris des notes à la main). Ce résultat est en opposition complète à celui de l’étude 1, mais cela n’inquiète nullement les auteurs. Les étudiants prenant des notes à la main et ayant bénéficié d’un temps bref de révision ont de meilleurs résultats (25,6) que les 3 autres groupes, mais sans que ces différences ne soient jamais significatives.

Ceci n’empêche pas les auteurs de conclure que ces études «montrent que l’ordinateur peut négativement affecter les performances éducatives, même si l’ordinateur est utilisé afin de prendre des notes plus facilement » : « même si le plus de notes prises, le plus cela est bénéfique à l’étudiant, si les notes sont prises sans discrimination (en suivant le verbatim du professeur), ou par retranscription « bête », comme c’est plus souvent le cas avec un ordinateur que lorsque les notes sont prises à la main, le bénéfice disparait totalement ».

Ainsi sur 3 études ayant utilisé respectivement 67 étudiants, 151 étudiants et 118 (-8) étudiants, une seule d’entre elle, et sur une seule série de questions, montre une différence significative entre les performance suivant la prise de notes sur papier ou sur ordinateur, une différence qui n’est pas retrouvée entre ces même deux groupes lors de l’étude 3 qui incluait 2 fois plus d’étudiants. Ainsi, la conclusion selon laquelle ces travaux amusants témoigneraient du danger encourus par des étudiants de réduire leurs performances académiques en utilisant la technologie nous semble surestimer grandement les résultats obtenus et leur réelle portée scientifique.

Il reste donc des études sérieuses à faire si le sujet en vaut réellement la peine. Et peut-être pourrait-on alors introduire une nouvelle variable qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et apporterait une réponse majeure aux étudiants : pour prendre des notes en cours vaut-il mieux être Mac ou PC ?

Source

The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking
Pam A. Mueller, Daniel M. Oppenheimer
Psychological Science, 0956797614524581, first published on April 23, 2014

A la main, on note moins, mais on note mieux
LE MONDE |  Benoît Floc’h

Crédit Photo Creative Commons by luc legay

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