Lundi 23 septembre 2013
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Quel est l’intérêt thérapeutique réel du “cannabis”?

L’utilisation médicale du cannabis est en débat en France après les déclarations de deux personnalités politiques de gauches, Cécile Duflot prônant d’abord une dépénalisation suivi de Daniel Vaillant décidé lui à défendre un «cannabis thérapeutique», et à faire «évoluer la législation et donner aux médecins la capacité de soigner et d’empêcher la douleur des gens». Certains voudraient y voir un laxisme ou une permissivité caractéristique offrant l’opportunité de  consommer impunément une drogue interdite car dangereuse pour la santé mentale et physique. Oui, le cannabis est une drogue aux effets secondaires dramatiques. Mais dépassons ce débat ; le cannabis aurait-il un intérêt thérapeutique, en particulier dans le traitement de la douleur?

Le cannabis à usage médical est autorisé dans de nombreux pays dont plusieurs états Européens, ainsi que dans plusieurs états Américains. Il s’y prescrit sur ordonnance. Le cannabis n’a pas besoin d’être fumé pour être actif. Le cannabis ou plus précisément les phyto-cannabinoïdes destinés à une utilisation médicale peuvent se présenter sous la forme de dragées, comme le dronabinol, du THC synthétique (100% tetrahydrocannabinol), autorisé par exemple en Allemagne pour lutter contre les vomissements et les nausées des patients sous chimiothérapie. Il est d’ailleurs disponible en France au sein des centres antidouleur pour traiter des douleurs résistantes à d’autres médicaments. Depuis 1999, l’ANSM (ex-Afssaps) a la possibilité de délivrer des autorisations nominatives d’ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) pour le dronabinol (Delta-9-THC). Le cannabis thérapeutique est donc déjà utilisable en France, et si quelques patients ont pu en bénéficier, son usage reste pour l’instant restreint. Par ailleurs, d’autres drogues interdites ont déjà un usage médical comme la morphine, un alcaloïde de l’opium. Autoriser médicalement l’usage d’un d’une substance psychoactive n’a rien à voir avec sa dépénalisation.

Le but premier est, et doit rester, de soulager des patients. Il est donc important de ne pas laisser ce choix du pour ou contre le cannabis thérapeutique aux politiciens qui n’en feront qu’un débat dogmatique, mais avant tout de savoir si son efficacité est suffisamment démontrée et son rapport bénéfice risque acceptable pour les patients; et si oui, dans quelles indications? Trouverait-il une place non ou mal occupée par les opiacés ?

Au Canada, deux catégories de patients peuvent bénéficier du cannabis thérapeutique : ceux invoquant une « douleur aiguë », des « nausées violentes » et/ou d’autres symptômes liés à une sclérose en plaques, une lésion de la moelle épinière, une maladie de la moelle épinière, un cancer, une infection par le VIH, une forme graves d’arthrite et/ou d’épilepsie. La seconde catégorie de patients éligibles est celle des patients qui présentent des symptômes pathologiques graves non décrit précédemment. Toute demande est réalisée en concertation avec un médecin. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration, a approuvé le dronabinol en 1986 pour le traitement des nausées et vomissements associés à une chimiothérapie, puis en 1992 pour le traitement de l’anorexie et de la perte de poids chez les patients porteurs du VIH.

Cannabis à usage médical dans le traitement de la douleur non cancéreuse

Face à la douleur, le nombre d’options thérapeutiques reste limité. Or le cannabis semble avoir un effet analgésique. Mary E Lynch et Fiona Campbell de l’hôpital des enfants malades de l’université de Toronto ont réalisé en 2011 une revue des études ayant évalué l’intérêt thérapeutique du cannabis dans des études randomisées et contrôlées où le cannabis était comparé à un placebo ou à un autre traitement analgésique. Les études de moins de 10 patients étaient exclues. Dix-huit études (seulement)  correspondaient à ces critères. Elles étaient de bonne qualité méthodologique et incluaient 766 patients. Les pathologies dont souffraient les patients étaient une neuropathie douloureuse dont certaines liées au VIH, une polyarthrite rhumatoïde douloureuses, ou une fibromyalgie. Le cannabis était utilisable sous différentes formes : fumé, en administration par un vaporisateur oromucosal (Sativex), sous forme de nabilone (Delta-9-THC), de dronabinol (Delta-9-THC), ou d’acide THC-11-oic, un métabolite du cannabis sans effet psychoactif. Quinze études retrouvent une efficacité significative du cannabis sur la diminution de la douleur avec une amélioration de la qualité du sommeil. Il n’y a pas eu d’effets secondaires sévères mais, des phénomènes de sédation, de fatigue, de bouche sèche, de nausées et de troubles de la concentration. Ces effets secondaires n’ont pas entrainé de sortie d’étude, une différence importante selon les auteurs en comparaison aux opiacés ou environ 33% des patients cessent le traitement du fait d’effets secondaires. Si ces résultats sont positifs, on restera frappé par le faible nombre d’essais clinique déterminants ainsi que par leur durée courte. Les auteurs s’accordent sur le fait que des études plus longues et recrutant plus da patients restent nécessaires et concluent : “il est aussi important de reconnaitre que les cannabinoïdes ne peuvent réduire la douleur que modestement”. Face au manque fréquent de prise en charge suffisante de la douleur ainsi qu’au manque d’option thérapeutique, il leur parait cependant “raisonnable” que le cannabis soit considéré comme un recours thérapeutique possible.

Chez les patients souffrant de sclérose en plaque, le cannabis apparait également avoir une action antistatique. Une procédure Européenne de reconnaissance mutuelle a d’ailleurs aboutit en mai 2012 à l’approbation du Sativex, un vaporisateur oromucosal  de  le THC et de CBD (cannabidiol), dans dix pays européens en traitement de deuxième intention pour soulager la spasticité et les symptômes associés des patients souffrant de sclérose en plaque et qui n’ont pas réagi de façon adéquate aux autres thérapies contre la spasticité.

Cannabis à usage médical chez les patients cancéreux

Plusieurs actions du cannabis sont évoquées chez les patients cancéreux. Des études précliniques laissent croire à un effet antitumoral du cannabis, par inhibition de la croissance cellulaire, inhibition de la croissance des vaisseaux vascularisant la tumeur, ou encore par stimulation de la mort cellulaire (apoptose) des cellules cancéreuses. En laboratoire, de tels effets pourraient suggérer une action dans la prévention de cancer du colon ou sur l’hépato carcinome. Tout cela reste pour l’instant une hypothèse car aucun essai clinique n’a été conduit pour prouver cet effet chez l’homme (Source, US National Institute of Cancer).

Au cours des chimiothérapies, le dronabilol (Delta-9-THC) et le nabilol (Delta-9-THC) ont montré une efficacité thérapeutique comparables à d’autres traitements pour réduire les nausées et les vomissements, ce qui a conduit la FDA à leur accorder une autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Il n’existe que peu de données pour évaluer les autres formes de cannabis comme le cannabis inhalé (fumé) dans cette indication.

Dans le traitement de la douleur des patients cancéreux, seules de petites études ont été réalisées montrant cependant un soulagement de la douleur comparable à celle apportée par la codéine, ou encore  apportant un soulagement supplémentaire lorsque les opiacés étaient insuffisamment efficaces. Ce manque de démonstrations clinique explique l’absence d’autorisation d’utilisation chez ces patients aux Etats-Unis.

Il apparait donc que les avantages présumés de cannabis à usage thérapeutique est largement fondée sur des cas anecdotiques, où le cannabis a été souvent utilisé face à l’inefficacité des thérapies conventionnelles. Si de très nombreux papiers scientifiques sur l’usage médical du cannabis sont toujours publiés, la grande majorité exprime une opinion personnelle des auteurs, sans apporter de nouvelles données scientifiques.

Déjà en 2001, alors que les associations de patients réclamant un usage élargi du cannabis médical, se faisaient largement entendre, le British Medical Journal publiait une analyse des essais cliniques ayant évalué l’efficacité du cannabis sur la réduction de la douleur. Les auteurs ne retrouvaient alors que neuf études publiées sur le sujet, toutes de qualité moyenne et n’incluant que 222 patients. Cinq essais cliniques concernaient l’usage du cannabis chez 128 patients cancéreux et seulement deux études dépassaient le nombre de 30 patients inclus. L’effet obtenu était comparable à 60-120 mg de sulfate de codéine dans une, ou à 50 mg de sécobarbital dans une autre mais était toujours supérieur au placebo. La survenue d’effets secondaires était corrélée à la dose de THC utilisée : 10 mg de THC produisait plus d’effet secondaires que 60-120 mg de sulfate de codéine. Les auteurs affirmaient alors en 2001 que “le mieux qui puisse être obtenu avec une dose unique de cannabis sur la douleur est un soulagement équivalent à 60 mg de codéine, ce qui est faible en comparaison avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de simples analgésiques” ; ”Nous n’avons pas de preuves suffisantes qui supporte l’introduction de l’usage du cannabis dans la pratique clinique régulière pour la prise en charge de la douleur” concluaient-ils.

Ainsi, à ce jour, l’évaluation thérapeutique du cannabis dans le traitement de la douleur, quel qu’en soit la forme d’administration, reste embryonnaire et le manque de démonstration clinique d’efficacité flagrant. 

Si dans certaines conditions bien particulières (chimiothérapie, sclérose en plaque) ou chez certains patients insensibles aux autres antalgiques, il pourrait avoir un intérêt modeste, le cannabis n’apparait pas, à la vue des données actuelles, comme le médicament antalgique de l’avenir puisqu’il associe à une efficacité faible, des effets secondaires augmentant proportionnellement aux doses utilisées. 

L’académie de Médecine a réagi fortement et avec raison aux propos de Cécile Duflot. Ces “sorties” médiatiques qui se sont multipliées récemment ne servent pas la cause des patients. L’évaluation scientifique du “cannabis thérapeutique” doit se poursuivre dans le cadre légal de celui de tout médicament, sans dramatisation ni récupération politicienne. Le traitement politique de la maladie ou de la douleur physique n’a, jusqu’à maintenant, jamais fait non plus la preuve de son efficacité.

 

Source

Cannabis in Palliative Medicine: Improving Care and Reducing Opioid-Related Morbidity
Gregory T. Carter, Aaron M. Flanagan, Mitchell Earleywine, Donald I. Abrams, Sunil K. Aggarwal and Lester Grinspoon
AM J HOSP PALLIAT CARE published online 28 March 2011

Cannabinoids for Treatment of Chronic Non-Cancer Pain; a Systematic Review of Randomized Trials
Mary E Lynch, Fiona Campbell
British Journal of Clinical Pharmacology Volume 72, Issue 5, pages 735–744, November 2011

Cannabis and Cannabinoids
National Cancer Institute at the NIH
2012

Medicinal Cannabis in Oncology Practice: Still a Bridge Too Far?
Floris A. de Jong, Frederike K. Engels, Ron H.J. athijssen, Lia van Zuylen,Jaap Verweij, Remco P.H. Peters, Alex Sparreboom
Journal of Clinical Oncology May 1, 2005 vol. 23 no. 132886-2891

Are cannabinoids an effective and safe treatment option in the management of pain? A qualitative systematic review
Fiona A Campbell, Martin R Tramèr,Dawn Carroll, D John M Reynolds, R Andrew Moore, Henry J McQuay
BMJ
 2001;323:13

Crédit Photo Creative Commons by  J. Paxon Reyes

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