Vendredi 14 septembre 2012
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Permis de tuer : depuis quand des produits radioactifs type polonium sont-ils utilisés par les services secrets?

Le 18 juillet 1898, Henri Bequerel présente à l’académie des sciences une note écrite conjointement par Pierre et Marie Curie « Sur une substance radioactive contenue dans la pechblende ». Le 16 juillet, soit deux jours avant la présentation, ils écrivaient dans leurs carnets  de laboratoire: « Finalement, nous avons obtenu une substance dont l’activité est environ 400 fois plus  grande que celle de l’uranium ». Ils lui donnent le nom de polonium, en mémoire du pays dont est originaire Marie Curie, la Pologne.

Le polonium est un produit radioactif inconnu du grand public avant l’assassinat d’Alexander Litvinenko à londrès en 2006 et qui revient sur le devant de la scène après qu’un laboratoire Suisse dit avoir retrouvé des traces de polonium sur des matériaux biologiques de l’ex-leader palestinien Yasser Arafat. Que sait-on réellement du polonium ? Des produits radioactifs sont-ils fréquemment utilisés par des services d’espionnage pour éliminer un géneur? Quelles en sont les conséquences en terme de santé publique?

En 1926, un article publié dans la revue médicale The  Lancet témoigne de son utilisation dans le traitement de la syphilis, où il se révèle inefficace. En 1952, la division des isotopes de la commission à l’énergie atomique américaine annonce aux chercheurs la possibilité d’acheter du polonium-210 émetteur de rayons alphas pour mener leurs expériences, en précisant que le polonium 210 est obtenu en bombardant de neutrons du bismuth permettant d’obtenir un produit plus pur que le polonium issu du radium. Pour faire cela, il faut posséder une centrale nucléaire. Le polonium 210 existe à l’état de traces dans les sols et donc dans l’alimentation. Les feuilles de tabac par exemple concentrent le polonium 210 expliquant que le sang des fumeurs contient une plus grande proportion de polonium 210. 1% des cancers des poumons seraient causés par du polonium 210.

Le polonium possède 33 isotopes : l’un d’eux a une demi longue, 103 ans. Le polonium 210 a une demi courte de  138 jours. Il se désintègre en émettant des particules alpha de 5,3 MeV (les rayons du soleil n’émettent par exemple que quelques eV). Ces particules alpha sont des rayonnements ionisants de forte énergie qui provoquent des dégâts aux cellules, et à l’ADN lorsqu’un être humain est contaminé. Il augmente les risques de cancer, d’anomalies génétiques, et pourrait avoir de nombreuses conséquences sanitaires autres que les cancers. Un seul gramme de 210Po émet autant de particules α que 13,5 tonnes d’uranium 238.

Les propriétés des radiations ionisantes expliquent leur utilisation par les services secrets de différents pays.

Un rapport publié après la chute du mur de Berlin témoignait de l’utilisation de radio-isotopes par les services secrets d’Allemagne de l’est. Les radionucléides utilisés étaient fournis par le centre de recherche nucléaire Rossendorf de l’académie des sciences. Ils étaient utilisés pour marquer des objets comme des sacs, des mallettes, des billets, des passeports, des lettres, des pneus de voitures, etc. Un détecteur portable permettait de suivre les objets marqués par les isotopes radioactifs. Pour confondre un ingénieur suspecté de transmettre des documents, les services secrets de la Stasi marquèrent des documents secrets. Ils arrêtèrent un homme de Berlin Ouest en possession des documents. En 1975, plus de 100 actions secrètes utilisant des matériaux radioactifs ont été menées. Ce type d’actions était encore en vigueur en 1989. Les agents possédaient des sprays permettant de marquer radioactivement n’importe quel support, ou encore des fléchettes radioactives pouvant être projetées dans des pneus pour suivre une voiture. En mai 1988, des billets de banque furent marqués et envoyés par la poste.  La radioactivité des billets était si forte, que porter sur soi un seul billet était  capable de «provoquer des lésions des organes reproducteurs ». Un postier fut arrêté pour avoir détourné l’argent liquide : il portait sur lui 20 billets marqués. Mais l’utilisation des rayons ionisants ne servait pas qu’à des opérations sécrètes. Les dissidents étaient couramment surveillés à l’aide de radiations ionisantes. Une note du rapport montre que les services secrets Est-Allemands étaient capables d’utiliser des rayons gamma  pour « voir » derrière les murs des appartements,  résultant en de considérables irradiations des occupants. Pour surveiller les écrits des dissidents, tous leurs papiers et courriers étaient marqués par des radiations ionisantes. Trois dissidents très connus, Rudolf Bahro, Jürgen Fuchs et Gerold Pannach moururent d’un cancer mais ce n’est qu’après la chute du mur de Berlin, quand l’utilisation de matériaux radioactifs fut connue, que des spéculations naquirent sur l’origine de leur décès. Furent-ils la conséquences de la surveillance poussée des services secrets Est-Allemand ?

Les services secrets bulgares utilisèrent des produits radioactifs pour tuer. En 1957, l’agent secret Nicolaj Khokhlov qui avait déserté l’URSS et fuit au Etats-Unis, fut assassiné par du thallium radioactif. Le général Bulgare Pacepa qui avait fuit à l’ouest en 1978 confirma dans ses mémoires que l’usage des radiations ionisantes pour réaliser des assassinats, était courant. Au printemps 1970 le département K, un service de contre espionnage reçu du KGB des substances radioactives pour compléter son arsenal. La mission « Radu » fut ordonnée, l’assassinat du ministre des affaires étrangères Kiraly.

Ces faits expliquent pourquoi, dès que fut connu l’empoisonnement au polonium 210 de l’ex agent des services secret russe Litvinenko, la Russie de Vladimir Poutine fut immédiatement soupçonnée. Alexander Litvinenko est décédé le 23 novembre 2006 d’une ingestion, à son insu, de polonium-210. La confirmation de la présence de polonium 210 entraina la mobilisation de nombreux services de sécurité publique en Angleterre puis en Allemagne dans le but de déterminer qui et quels lieux avaient pu être contaminés par le polonium, permettant par-là même de reconstituer l’histoire de cette dose mortelle de polonium 210. Au total, 11 lieux on été retrouvés contaminés à des doses pouvant présenter un risque pour l’homme : 2 hôpitaux, 1 ambulance avec son personnel, trois hôtels, trois bureaux, et la maison de Litvinenko. Dans ces 11 lieux, 1029 personnes ont subi un risque d’exposition au polonium, dont ceux ayant fréquenté les restaurants et les hôtels au moment de leur contamination. Sur les 787 qui ont accepté de subir un examen, 18,5% avaient de niveaux de polonium supérieurs aux normes montrant une contamination interne : 56 étaient des employés d’un hôtel, 38 des consommateurs d’un bar, 10 des résidents d’un hôtel, 10 des personnels hospitaliers, et 8 des visiteurs des bureaux contaminés. 186 individus (18%) ont développés des symptômes compatibles avec un syndrome lié à une irradiation.

Selon Scotland Yard, le destin de Litvinenko s’est joué le 01 novembre 2006. Ce jour-là, il retrouve deux « amis », au bar de l’hôtel Millenium, Andrey Lugovoi et Dmitry Kovtun. Au cours de cette rencontre, Lugovoi verse du polonium-210 dans le thé vert de Litvinenko. Dès le soir, il est malade. Il mettra 3  semaines à mourir lentement dans d’atroces souffrances. De son lit d’hôpital, Litvinenko accuse le président Vladimir Poutine d’être responsable de son assassinat. Il sait alors qu’il ne lui reste que quelques heures à vivre.

La théière ayant contenu le polonium fut identifié par les enquêteurs ainsi que les deux protagonistes dont la trace du retour via l’Allemagne a pu être suivie par les traces de polonium. Aujourd’hui, Andreï Lougovoï, est député du Parti libéral-démocrate (LDPR) à la chambre basse du Parlement russe (Douma) et un mandat d’arrêt international a été émis en mars 2012 à l’encontre de Dmitri Kovtoun.

D’autres morts sont suspectées d’avoir été causées par un empoisonnement par des substances radioactives comme celle du journaliste de Novaya Gazeta, Yuri Shchekochikhin en 2003, du journaliste Georgi Markov en 1978 dans lequel les services secrets bulgares sont suspectés,  et celle de Roman Tsepov, homme d’affaire trouble et politicien, en 2004.

Source

Polonium ans the treatment of syphilis
The Lancet 3 juillet 1926, page 31-32

Ioniozing radiation in secret services conspirative actions
H Vogel, P Lotz, B Vogel
European Journal of Radiology 63 (2007) 263-269

The International follow-up of individuals potentially exposed to polonium-210 in London 2006
Shaw K, Anders K, Olowokure B, Fraser G, Maguire H, Bailey M, Smith J, Frossell S, Yap K, Evans B; Health Protection Agency Overseas Advice Team
Public Health. 2010 Jun;124(6):319-25. Epub 2010 May 23

Death by polonium-210 : lessons learnes from the murder of former soviet spy Alexander Litvinenko 
McFee RB, Leikin JB
Semin Diagn Pathol. 2009 Feb;26(1):61-7.

Les carnets de laboratoire de Pierre et Marie Curie.
note présentée à l’académie des sciences le 18 juillet 1898 et la découverte du Polonium
C.R. Acad. Scie. Paris, t.1 Série II c, p 457-464, 1998
Chronique de la chimie

Crédit Photo Creative Commons by Samuel Agudiño

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