Le bilan dramatique du traitement de l’insuffisance cardiaque en France

La Caisse Nationale d’Assurance Maladie publie une étude remettant en cause la qualité des soins apportés aux insuffisants cardiaques en France. Cette étude démontre que 81% des patients insuffisants cardiaques en France ne bénéficient pas de tous traitements capables de leur sauver la vie et que 40% des patients ne sont même pas suivis par un cardiologue, une nécessité dans cette maladie grave dont l’espérance de vie est inférieure à celle du cancer du sein.

L’insuffisance cardiaque touche 2% à 3% de la population, en majorité des sujets âgés : les hommes insuffisants cardiaques ont en moyenne 73,5 ans et les femmes 80,2 ans. L’insuffisance cardiaque est une maladie du cœur, qui devient incapable de jouer son rôle : il ne peut plus maintenir un débit de sang suffisant pour faire face aux besoins de l’organisme. Elle entraine une lourde mortalité, et crée un handicap majeur dans la vie quotidienne du fait de la fatigue, de l’essoufflement et des hospitalisations récurrentes.

Ces hospitalisations représentent 63% des dépenses de santé des patients en ALD pour insuffisance cardiaque. L’Assurance Maladie a analysé les données issues du remboursement permettant d’évaluer les traitements reçus par les patients et leurs hospitalisations. Sur les 367 000 patients repérés par l’assurance maladie, 61 000 sont décédés au cours d’une seule année d’observation (2008), soit près de 17%. Ce risque de décès est 4 fois plus élevé chez les personnes âgées de 75 à 84 ans que chez les personnes du même âge non insuffisant cardiaque. L’hospitalisation est un risque supplémentaire : une hospitalisation dans l’année multiplie par 2,5 le risque de décès.

Sur un échantillon de 140 000 patients, l’étude s’est donnée pour objectif de “comparer les traitements aux recommandations”. Les recommandations sont édictées par les sociétés savantes et les organismes de santé publique sur la base de ce que la science a permis de démontrer comme traitements utiles non seulement pour réduire le nombre d’hospitalisations mais aussi la mortalité des patients tout en améliorant la qualité de vie.

Ainsi, la Société Européenne de Cardiologie et les organismes français ont recommandé, pour sauver des vies et réduire les hospitalisations, qu’un patient insuffisant cardiaque (à fraction d’éjection altérée) reçoive conjointement 3 traitements : un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), un bêtabloquant et un diurétique anti aldostérone. L’assurance maladie a mis à jour que seulement:

– 47% des patients insuffisants cardiaques recevaient un IEC,

– 44% des patients insuffisants cardiaques recevaient un bêtabloquant,

– 17,8% des patients insuffisants cardiaques recevaient un diurétique anti aldostérone,

Or ce trios de médicaments est indispensable chez chaque patient : pourtant seulement 19% des patients bénéficient des trois à la fois et ce résultat est encore pire chez les plus de 85 ans qui ne sont que 11% à en bénéficier. Les femmes sont bien plus mal traitées que les hommes par les médecins : seulement 14% bénéficient de cette trithérapie, contre 23% des hommes. Une des explications avancées, qui n’explique pourtant pas ce manque dramatique de prise en charge, est que certains patients pourraient ne pas tolérer un de ces traitements. L’étude n’a malheureusement pas la possibilité de nous éclairer sur ce type d’effet ni sur les doses prescrites de chaque médicament.

Ce bilan peu glorieux ne s’arrête pas là : 25% des patients se sont vus prescrire des médicaments contre-indiqués dans l’insuffisance cardiaque  tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens qui augmentent la mortalité des patients, le risque d’hospitalisation et peuvent en plus avoir une toxicité rénale chez certains.

Et pourtant, les insuffisants cardiaques sont suivis par des médecins et sont même souvent hospitalisés: 96% des patients en ALD ont consulté ou vu leur médecin à leur domicile au moins une fois au cours de l’année analysée, et 87% ont vu leur médecin au moins 4 fois! Comment expliquer l’absence de prescription des médicaments recommandés? Pourtant, encore 37% des patients n’ont pas vu de cardiologue malgré leur pathologie complexe.

Cette mauvaise prise en charge thérapeutique et la non prescription des traitements recommandés représente un coût majeur pour la société : les hospitalisations pour décompensation d’insuffisance cardiaque, actuellement en forte croissance (entre +26% et plus +35% en fonction des régions françaises), représentent 1,6 milliards d’euros de dépenses chaque année.

Cette analyse de la CNAM  illustre encore une autre réalité : l’absence totale de mise en œuvre de moyens destinés à faire appliquer les mesures de santé publique : en effet, l’objectif 73 de la loi de santé Publique du 9 août 2004 prévoyait la réduction d’au moins 20% en 5 ans des décompensations aiguës d’insuffisance cardiaque, un objectif clairement non atteint. Qui dira encore que la médecine française est l’une des meilleures du monde?

Pour conclurent les auteurs rappellent que l’insuffisance cardiaque est non seulement un enjeux de santé publique mais aussi un enjeux économique. Ils recommandent donc une augmentation des prescriptions (chose rare de la part de la CNAM!)  et du suivi des patients conforme aux recommandations françaises et Européennes qui devraient être plus largement publiées. Mais la publication de la CNAM ne dit pas quels outils seront mis en œuvre dans l’avenir pour sauver la vie des insuffisants cardiaques français.

Source

Caractéristiques et trajet de soins des insuffisants cardiaques du Régime général
Caisse Nationale d’Assurance Maladie
N° 38 – Les insuffisants cardiaques
Article mis à jour le 21 août 2012

Télécharger le document :Points de repère n° 38 (PDF, 1.0 Mo)

Crédit Photo Wikipédia : File:Cardiomegally.PNG

4 thoughts on “Le bilan dramatique du traitement de l’insuffisance cardiaque en France

  1. Merci beaucoup pour ce résumé passionnant.

    Il est très représentatif des tensions qui opposent les médecins et l’assurance-maladie actuellement.

    Cette dernière, dotée pourtant d’un service scientifique étoffé, n’a toujours pas compris le concept d’EBM, tel que défini par ses fondateurs : http://www.atoute.org/n/+L-EBM-les-recommandations-et-les+.html

    Une recommandation ne représente pas le réglage optimal d’une machine, mais l’ensemble des données de la science à prendre en compte pour soigner UN patient, données à confronter à l’histoire personnelle du patient, à son ressenti, à sa tolérance au traitement, et parfois même à l’expérience du médecin lorsque ce dernier la croit utile face à des recommandations d’un niveau de preuve faible.

    Il est rare que l’ensemble des stratégies suggérées dans une recommandation soient applicables à chaque patient.

    Bien sûr, dans certains cas, cette non-prise en compte des recommandations reflète l’exercice d’un praticien ayant omis de mettre ses connaissances à jour, ou englué dans une routine délétère pour ses patients.

    Mais dans d’autres cas, nombreux, il s’agit d’une adaptation judicieuse de la recommandation au cas de chaque patient, pour lui assurer le meilleur présent (ce qui est important à 80 ans) et le meilleur avenir.

    Dans un domaine parallèle, l’application des procédures dans le monde du travail, Christophe Dejours en fait une merveilleuse démonstration : appliquer la totalité des procédures bloque la production. Cela porte un joli nom : « La grève du zèle ».

    La « grève du zèle » en médecine, ça ne bloque rien mais cela peut tuer le patient.

  2. La CNAM se fie à des recommandations non validées, se sert de statistiques non validées, a-t-elle vérifié la Fraction d’éjection systolique ?, sait-elle interpréter une fraction d’éjection en fonction de l’âge ?, prend-elle en compte les effets indésirables des associations IEC antialdosterone ? , des CI des bétabloquants chez ce type de patients ?, et cetera.
    Qu’il y ait des problème de prise en charge, qui le nierait ? Mais pour dénoncer il faut connaître.

  3. Encore un exemple du délire technocratique normalisant auquel se soumet la CNAMTS sans réflexion, sans prendre en compte les conflits d’intérêts des dealers d’opinion hospitalo-universitaires aveuglés par une vision de l’humain simple compilation d’organes.

    Que les généralistes soignent mal leurs patients n’est pas une révélation, mais que les inciter à suivre des recommandations biaisées par des egos vendus aux marchands et aux industriels permettraient de mieux les soigner relève du fantasme médico-administrativo-industriel le plus consternant, dangereux et pour ne pas dire totalisant.

    Mais que ce soit un article constellé de fautes d’orthographe, de coquilles et de fautes de syntaxe qui fasse état de cette orwellienne et dégueulasse analyse est rassurant quelque part. La médiocrité nourrit la médiocrité.

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