L’agence Nationale de Sécurité des Médicaments, ex-AFSAPPS risque de ne pas garder longtemps son nouveau patronyme, nouvellement inventé pour faire oublier le précédent. Par la voix de son directeur, l’ANSM vient de faire connaitre sa décision du retrait du traitement anti acnéique Diane 35. Cette décision a été prise “A l’issue de l’évaluation de l’ensemble des données disponibles“, des données parmi lesquelles aucune nouveauté n’est citée. Cependant, “l’ANSM estime que le rapport bénéfice/risque de Diane 35 et de ses génériques est défavorable dans le traitement de l’acné, au regard notamment du risque thromboembolique veineux et artériel auxquels ils exposent les femmes traitées“.
Evidemment, la polémique journalistique autour de la prescription de ce traitement en dehors de son AMM a mis à jour la tolérance de l’institution vis-à-vis de cette pratique, et c’est cette tolérance que veut faire oublier l’ANSM. La condamnation de ce traitement est étayé par le risque thromboembolique qu’il fait courir aux patientes, “un risque thromboembolique veineux quatre fois plus élevé que celui des femmes qui ne prennent pas ces traitements” écrit encore l’ANSM, omettant d’ajouter que ce risque est comparable pour toutes les combinaisons thérapeutiques d’ethinylestradiol-progestane de troisième et de quatrième génération utilisées à visée contraceptives, et qu’il reste dans l’absolu, faible.
Ce risque n’est d’ailleurs pas jugé suffisamment élevé pour demander l’interruption immédiate du traitement car ”La suspension prendra effet dans un délai de 3 mois” et “Les patientes ne doivent pas interrompre brutalement leur traitement par Diane 35 ou ses génériques, et peuvent le poursuivre jusqu’à une prochaine consultation chez leur médecin, ou avec tout autre prescripteur, qui envisagera avec elles, les options thérapeutiques qui conviendront au mieux à leur situation individuelle“.
Voici donc l’ANSM soulagé, son directeur va pourvoir dormir tranquille, le problème est réglé.
Mais que va t-il arriver aux 315 000 femmes actuellement traitées par Diane 35?
Ces patientes utilisaient pour beaucoup, selon l’ANSM (mais est-ce certain?), Diane 35 comme contraceptif et en dehors de toute acné, sans peut-être même savoir que celui-ci n’en avait pas l’indication. Si cela est réel, elles vont donc se voir prescrire une nouvelle pilule contraceptive de seconde, de troisième ou de quatrième génération. Or toute pilule accroit le risque thromboembolique surtout au cours de ses premiers mois d’utilisation. Donc cette décision de l’ANSM revient à décider d’exposer volontairement 315 000 patientes, tolérant bien un traitement qu’elle prennent probablement pour certaines depuis des années, à un nouveau risque thromboembolique, lié à la prise d’une nouvelle combinaison ethynilestradiol-progestane, mais possédant cette fois une autorisation de mise sur le marché en bonne et due forme pour la contraception. Est-ce éthique?
Et pour les femmes souffrant d’acné vulgaris?
L’acné est fréquente. Dans un avis de transparence publié en janvier 2012, la HAS estime à 7 millions le nombre de français touchés par l’acné dont 1,8 millions d’adultes de 20 à 49 ans : “La prévalence de l’acné chez l’adolescent de 12 à 20 ans a été estimée selon les études entre 72 % et 91%, quelque soit la sévérité de la maladie. Ainsi, 5,0 à 5,7 millions d’individus âgés de 12 à 20 ans sont atteints d’acné. L’acné peut toucher aussi des personnes adultes. D’après une publication anglaise, 12 % des femmes et 3% des hommes de plus de 25 ans aurait une acné légère à modérée. Rapportés à la population française entre 20 et 49 ans, l’acné concernerait 1,8 millions d’adulte. Au total, la population ayant une acné est d’environ 7 millions de personnes“.
Une revue Cochrane publiée en 2012 (12 579 participants) confirmait l’intérêt thérapeutique de plusieurs associations ethynilestradiol-progestane dans le traitement de l’acné, sans mettre en évidence de supériorité de l’acétate de cyprotérone. Mais puisque Diane 35 est retirée du marché, une autre combinaison d’ethynilestradiol-progestane pourrait-elle être utilisée à visée anti acnéique? Normalement non, car celle-ci n’aurait qu’une autorisation de mise sur le marché à visée contraceptive et non pas comme traitement de l’acné. Le prescripteur pourrait donc faire, s’il en a le courage, une prescription hors-AMM à visée dermatologique avec comme effet secondaire une contraception et toujours le même risque thromboembolique que celui de Diane 35. Où il pourra se tourner vers le peroxyde de benzoyle qui n’a que peu de preuves d’efficacité (15% de taux de succès environ) ou un rétinoïde, un traitement tératogène (attention donc chez les femmes en âge de procréer), aux nombreux effets secondaires et dont les effets secondaires psychiatriques ont déjà défrayé la chronique. La HAS a rappelé la “Stratégie thérapeutique de l’acné” autorisée en France dans son avis de transparence de janvier 2012 et les associations à visée contraceptive n’y figurent évidemment pas.
Et si ces femmes ayant de l’acné souhaitent quand même une pilule, cette fois à visée purement contraceptive? Celles de 1ère ou 2ème génération, qui comportent un progestatif androgénique (dérivé de la testostérone) et qui seules seront remboursées, vont aggraver l’acné ainsi que la pousse de la pilosité et ne sont absolument pas dénuées d’effet secondaire thromboembolique. Le prescripteur se tournera donc logiquement vers une pilule de 3ème ou 4ème génération avec ce fameux risque thromboembolique maintenant connu de tous. Tout ça pour ça. Heureusement que l’ANSM et les journalistes de notre grande presse quotidienne veillent.
Source
Combined oral contraceptive pills for treatment of acne.
Arowojolu AO, Gallo MF, Lopez LM, Grimes DA
Cochrane Database Syst Rev. 2012 Jun 13;6:CD004425. doi: 10.1002/14651858.CD004425.pub5.
What’s new in acne? An analysis of systematic reviews published in 2009-2010
Smith EV, Grindlay DJ, Williams HC.
Clin Exp Dermatol. 2011 Mar;36(2):119-22; quiz 123. doi: 10.1111/j.1365-2230.2010.03921.x. Epub 2010 Aug 25.
Haute Autorité de Santé COMMISSION DE LA TRANSPARENCE
Avis 18 janvier 2012 EPIDUO, gel
Crédit Photo Creative Commons by sickmonk
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Je suis choqué par votre article sur Diane 35. autant je reconnais que son retrait est dommage car elle est une solution temporaire dans un petit nombre de cas, autant hurler à la mort en disant que son retrait va augmenter le risque trombo embolique est aussi faux que peu constructif. Quel est l’interet de tourner l’article dans ce sens la ?
Bonjour,
Le risque thromboembolique lié à une pilule n’est pas constant dans le temps. En fait il est maximal au cours de la première année et surtout des trois premiers mois où il est multiplié en moyenne par 12. Ainsi, obliger 315 000 femmes qui tolèrent bien leur contraceptif et ayant passé ce délai de surrisque revient à les exposer à un nouveau risque médicalement et éthiquement injustifié. D’ailleurs, la lecture de la recommandation de la HAS “Contraceptifs oraux estroprogestatifs : préférez les «pilules» de 1re ou 2e génération”, souvent brandit par les défenseurs de la solution radicale qui a été décidé par l’ANSM, devrait être lue jusqu’au bout : la Haute Autorité de Santé écrit “Le surrisque thromboembolique veineux ne justifie pas un arrêt brutal d’une C3G jusque là bien supportée”. La décision de l’ANSM contredit les recommandations des bonnes pratiques de la HAS.
Merci de votre commentaire
[...] → La pilule Diane 35 et cet article daté du 20 février 2013 : DocBuzz. [...]