Mardi 11 novembre 2014

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Les hommes veulent du sexe, les femmes de l’amour

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Les débats sur la sexualité féminine n’ont cessé d’agiter la communauté scientifiques et nos sociétés occidentales en particulier depuis les premières publications de William H. Masters and Virginia E. Johnson*. Si l’excellente série américaine Masters of Sex, permet de révéler à des êtres du XXIe siècle ce que pouvait être la compréhension de la sexualité au milieu du XXe, rappelant les avancées majeures permissent par ce couple de scientifique, il serait faux de croire que les portes qu’ils ont permis d’ouvrir  et aient aplani toutes les incompréhensions et hypothéqué tous les interdits.

Dans notre culture occidentale, l’affirmation que les hommes veulent du sexe alors que les femmes veulent de l’amour est encore fréquemment usitée. Cette conceptualisation de l’hétérosexualité où l’homme est décrit comme possédé par un avide besoin de sexe et la femme comme ayant peu ou pas de désir sexuel mais veut avant tout être chérie et aimée, est encore retrouvé dans certaines publications scientifiques. De nombreuses femmes rapportent idéaliser le rapport sexuel et vouloir du sexe en rapport à une envie d’émotion romantique. Par ailleurs, ces discours sur la sexualité la réduisent souvent à une sexualité « traditionnelle », pénis-dans-le-vagin, où les hommes jouent un rôle actif, initiateur, le désir des femmes restant passif. Dans ces discours traditionnalistes, c’est même l’absence de désir féminin qui est posé comme un problème et non pas le fort désir sexuel masculin. Il est donc nécessaire de mieux révéler et de mieux comprendre la complexité des expériences sexuelles féminines aux delà des discours traditionnellement entendus. Des psychologues Anglais ont interviewé 10 femmes anglaises sur leur perception de leur sexualité. Elles sont toutes en couple depuis 9 mois à 27 ans ; deux d’entre elles sont noires, et une bisexuelle.

Quelques-unes étaient capables de dire qu’elles pensaient au sexe, qu’elles voulaient du sexe, et qu’elles avaient une sexualité active mais de manière majoritaire, les données recueillies montre un clair manque de désir sexuel chez les participantes. Petula (la seule bisexuelle) apparait comme l’exception « J’ai vraiment, vraiment envie de sexe en permanence, je pense que c’est vrai pour beaucoup de femmes, en tout cas pour moi, plus vous avez du sexe, plus vous voulez du sexe ». Pourtant, l’ensemble des femmes interrogées reconnaissent le désir de sexe comme quelque chose de «normal», de «naturel» ; “ne pas avoir de sexualité n’est pas naturel”, commente l’une d’elle, alors que Mary exprime des regrets “Pourquoi est-ce que je ne me sens jamais chaude ?”, “Si seulement je pouvais disposer comme ça d’une pilule qui me rend un peu plus chaude, ça me plairait”, rajoute Heather. Si ces femmes expliquent clairement qu’elles aimeraient avoir un désir plus important, les autres en parlent différemment.  Soit en se trouvant «bizarres»,  soit “vraiment triste” du fait du manque de désir sexuel. Elles ajoutent qu’elles ressentent une pression extérieure qui les pousseraient à posséder ce désir au point qu’Heather n’aime pas parler de sexualité avec des gens qui aiment le sexe et qui ont une sexualité riche; cela lui renvoie l’image qu’il lui manque quelque chose. “Les magazines tendent à vous faire croire que .les autres le font beaucoup plus que vous…Il y a des références constantes à «est-ce que votre sexualité est à la hauteur ? »”.

Les femmes identifient comme un problème ce manque de désir sexuel au sein de leur relation, plutôt que d’identifier par exemple un désir excessif chez leur compagnon. Cette vulnérabilité de la femme a ouvert la porte aux industriels qui proposent des «viagra féminin» en faisant croire aux femmes que, ne pas avoir de désir est effectivement une anomalie, ajoutant que prendre une pilule pourrait le résoudre de problème. Le manque de désir sexuel n’est pas encore considéré comme une pathologie médicale. Pourtant, comme l’évoquait Alice, les magazines modèlent la vision qu’ont les femmes de leur désirs sexuels et proposent une vision idéalisée et normée de la sexualité qui s’oppose à celle, individuelle et souvent différente, de la lectrice qui se retrouve de fait bien isolée.

Non seulement les femmes interrogées manquent de désir mais elles minimisent également l’importance de la sexualité dans leur relation : « je ne pense pas que ce soit important, si je suis honnête » dit Liv et elle n’est pas la seule, bien que le majorité aient des relations sexuelles. Alors pourquoi les femmes ont-elles des rapports sexuels si elles n’en ont pas le désir et si, en plus, le sexe n’est pas important dans leur relation ?

Les explications montrent la difficulté de cette articulation ; «Vous avez une relation avec quelqu’un et vous dormez avec lui, c’est comme ça », dit Clare en couple depuis 15 ans.  «Je ressens qu’il veut avoir une vie sexuelle, et je sens qu’une partie de la relation se fait en donnant et en prenant » dit Mary, apportant une vision très partagée par les autres de l’importance du « il » dans la survenue des rapports sexuels. C’est très claire pour Heather « je le fais parce que je sais qu’un homme en a besoin », comme pour Clare « c’est un homme, et c’est le truc des mecs. Les hommes pensent toujours une relation à travers le sexe ». C’est donc par devoir que la majorité de ces femmes prétend accomplir des actes sexuels, justifiant ce « devoir » par le besoin  naturel de sexe de leurs compagnons, donnant écho au concept binaire de la sexualité, absence de désir des femmes, besoin de sexe des hommes.

La sexualité correspond, pour la majorité de ces femmes à la pénétration vaginale du sexe de l’homme. Les autres pratiques sexuelles font partie des préparatifs : « C’est le début », dit Liv, en couple depuis 6 ans, «Ce sont les préliminaires, et après vient la pénétration ». Mary dit la même chose ajoutant que les préliminaires font partie d’une vie sexuelle saine. Pour ces femmes, le coït par pénétration intravaginale reste le but, l’objectif principal du rapports sexuel.

Lorsque ces femmes évoquent le plaisir, les différentes expériences se font jour, dévoilant l’importante variabilité du plaisir sexuel. Si Sarah (32 ans) est enthousiaste, « l’orgasme est la meilleure chose que je connaisse », Mary, âgée de 21 ans et en couple depuis un peu plus d’un an, n’a jamais connu d’orgasme ; «A chaque fois, dans la tête, je me dit que j’ai aimé ce que j’ai eu mais que ça aurait pu être encore mieux». et même celles qui sont enthousiastes sur le sexe et leur plaisir sexuel ne ressentent pas le désir d’initier les moments sexuels du couple : « Quand ça arrive, j’aime ça et après je me demande pourquoi on ne le fait pas plus souvent « (Clare). Mais le plaisir n’est pas partagé par toutes. Ce par exemple le cas d’Heather (27 ans), « Il va me dire, « t’as aimé ? », et je répondrais « oh, oui ! », et vraiment je n’attends qu’une chose c’est allumer la TV, et c’est triste je sais, mais je n’apprécie pas, mais je dois prétendre que si. Il fait tous ces efforts pour me faire jouir, alors que je serais aussi bien avec une bonne tasse de thé ». Cependant, le sentiment  de la qualité du plaisir ressenti semble pouvoir évoluer, faisant évoluer l’utilité de la sexualité comme fortifiant  la relation : « avant c’était juste un acte, maintenant c’est plus un acte d’amour » dit Pipa (24 ans), « je ressent plus  de plaisir, mais je pense juste que c’est aujourd’hui plus important pour moi. Avant c’était, aller vite du sexe ! C’était de la luxure, maintenant, c’est plus de l’amour, de la passion ». Au fur et à mesure que le  temps passe, les femmes investissent de moins en moins sur le sexe pour percevoir l’amour et l’affection que leur partenaire leur offre.

Cette étude, concentrée sur un faible nombre de participantes, confirme une manière répandue de conceptualiser la sexualité inscrivant une franche dichotomie entre le sexe et l’amour, beaucoup appréciant l’amour qui leur est portée mais n’éprouvant que peu de plaisir dans la sexualité qui l’accompagne. La majorité des femmes interviewées se plient aux impératif d’une sexualité non satisfaisante dans le seul objectif de satisfaire leur compagnon.

*Human Sexual Response et Human Sexual Inadequacy, publié en 1966 et 1970

Source

« I’d be just as happy with a cup of tea » : women’s account of sex and affection in long –term heterosexual relationships
Hayfield, N. and Clarke, V
Women’s Studies International Forum, 35 (2). pp. 67-74. ISSN 0277-5395

Crédit Photo Creative Commons by Robert McDon

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